Du 16 au 26 avril, nous étions de retour à Soueich pour concrétiser le travail engagé avec les habitants et les élus en octobre dernier. Soueich est un village d’environ 530 habitants situé en Haute-Garonne, à une heure au sud de Toulouse, et à 15 minutes de Saint-Gaudens. Pour cette deuxième partie de résidence dans le village, nous nous sommes associés avec Ars Longa avec qui nous menons des réflexions communes sur les enjeux du territoire.
Observer, glaner, écouter
Nous arrivons à Soueich sans à priori sur le village, son fonctionnement, ses usages et ses habitants. Notre objectif est de rapidement arpenter le territoire pour l’observer et s’en faire une idée. Pendant des heures, nous marchons et observons l’architecture, les gens qui passent, les voitures, les agencements extérieurs…
Auprès des habitants, nous procédons à une explication du projet : nous sommes là à la demande de la mairie qui souhaite repenser le centre-bourg. Les élus souhaitent impliquer les habitants dans ce processus. Les habitants-élus seront traités comme tous les habitants et nous prendrons principalement en compte les envies et besoins des habitants et des participants aux séances de travail collectif.
Dans les archives de l’ACASO (Association Culture Animations Soueich), on trouve de nombreuses photos qui illustrent la sociabilité du village. Que ce soit sur la place principale qui est aujourd’hui la cour de l’école, ou à Daüsse, un point haut où de nombreuses fêtes ont eu lieu, les habitants n’ont eu de cesse, historiquement, de se rassembler et tisser du lien entre eux et avec le territoire.
Dès notre rencontre, les habitants, avec une carte du village comme support, nous font part de leurs souvenirs. Un travail de déambulation avec les habitants, d’ateliers maquette et de slogans nous permet de recueillir leurs idées pour ce “village du futur” et nous les mettons en rapport avec des données pratiques transmises par la Mairie de Soueich et le CAUE Occitanie. D’un point de vue institutionnel, nous avons une vision concrète et pratique du territoire grâce à la mise à disposition de documents officiels et administratifs concernant l’occupation du territoire et son aménagement.
Diagnostiquer
Avec ces nombreuses informations récoltées, souvenirs, revendications, problèmes soulevés ou solutions suggérées, nous essayons de comprendre les origines de la nécessité de repenser le centre-bourg. Les habitants sont sollicités pour exploiter cette matière de réflexion et en tant qu’experts de leur village, nous listons les points observés et les interprétons. Qu’il s’agisse de la vitesse des voitures, des emplacements de parking, de clôtures, de terre-pleins, de paysage ou de pratique de l’espace, nous décortiquons les problématiques pour en faire émerger des solutions et des scenarii possibles pour Soueich et ses habitants. Nous prenons ce projet dans le prisme de la notion de démocratie participative pour impliquer les habitants. Suite à la mise en place d’un Plan Local d’Urbanisme qui avait été remis en question par des habitants et annulé, il était important de donner aux soueichois la possibilité d’inscrire leurs envies et leurs idées dans le projet pour guider le prochain PLU. Leur participation met à l’épreuve les possibles du village, de son fonctionnement, de ses aménagements, de ses usages. Leur parole remet aussi en question les avis des acteurs institutionnels à travers la pratique experte qu’ils ont de Soueich et viennent bousculer les plans initiaux. Durant cette étape, il est important de mettre en place un lien entre les différents acteurs du projet en les impliquant sans rapport hiérarchique pour échanger et dialoguer. Le diagnostic produit à la fin de la première phase de résidence était disponible et accessible à ceux qui le souhaitaient : en ligne, à la mairie, à l’épicerie du village. Cela a permis de recueillir des retours à la fois des habitants et des élus afin de sélectionner des prototypes à réaliser durant la seconde phase de résidence.
Concrétiser et Prototyper
Entre ce premier temps d’observation et de diagnostic et celui de la concrétisation des envies des soueichois, nous avons imaginé des dispositifs qui laisseraient une certaine marge de manœuvre aux habitants pour qu’ils se les approprient en participant à leur mise en place.
Dans un premier temps, nous avons développé le kit de mobilier urbain presque instantané, suite au report de notre venue de février à avril. Durant ces deux mois entre le lancement du kit et notre venue, de nombreux mobiliers ont émergé dans le village, faits à partir de trouvailles, mobiliers déjà existants, matériaux trouvés et échangés entre voisins.
Dans la continuité de cette réflexion autour du mobilier urbain, nous avons imaginé avec le designer Thibaut Louvet une série de mobiliers questionnant les postures du corps dans l’espace. Des mobiliers archétypaux, sobres, blancs, aux mesures standards permettant de s’adapter au matériel que nous avons glané auprès des habitants et grâce à un gisement provenant de l’Héraut – Palettes et plancher de grenier – . Au-delà de permettre des planches de bois de récupération de taille régulières et droites, le récit créé par ce gisement nous semblait intéressant. Michel Caisso, 74 ans et auteur de ce don, est un obsédé de la récupération. Il a toujours peur de jeter quelque chose qui pourrait profiter à quelqu’un. Il s’est même fabriqué une fendeuse à bois qu’il a greffée à son tracteur pour optimiser ce qu’il ramasse de bois. Les lattes de plancher qu’il nous a données étaient dans le grenier de son grand-père, dans lequel elles sont restées 50 ans. Entre-temps, il a installé le plancher dans la maison de sa sœur, l’a démonté lorsqu’elle a déménagé, en a fait des coffrages à béton, a nettoyé les planches puis les a stockées, à plat, au sec, afin de pouvoir les réutiliser le moment venu. C’est ainsi qu’elles sont arrivées par hasard à Soueich pour expérimenter du mobilier urbain.
Ce qui a été produit durant cette résidence en deux temporalités (affiches, panneaux, mobiliers…) représente une boîte à outils d’expérimentations au stade de prototypes utilisables. En tant que designers, nous ne prenons pas de décisions concernant le territoire. Nous accompagnons les décisionnaires à prendre les décisions qui nous semblent en accord avec les besoins généraux émis par les usagers du territoire. Cependant, nous représentons parfois une certaine autorité auprès des participants aux ateliers par la remise en question de notre part du territoire qu’ils pratiquent et connaissent. Ces prototypes permettent donc d’expérimenter l’espace pour valider ou invalider des usages et configurations d’espace d’une manière qui se veut être objective malgré les observations de la mairie et de ses représentants, ayant en tête les enjeux de l’espace public et non pas seulement la question des usages.